Note de lecture : « Hors de Moi » de Claire Marin, éditions Allia.
Elle est malade. La narratrice est malade. Atteinte d’une maladie rare, invasive, incurable, qui la ronge lentement, multipliant les offensives et décuplant les douleurs de plus en plus violentes et insupportables. Alors, dans un monologue intérieur, elle raconte. Elle raconte les assauts du mal, ses manifestations, ce qu’il dérègle dans la vie sociale, affective, familiale, dans le rapport à soi et le rapport aux autres. Elle raconte ce corps qui n’est plus qu’objet d’investigations médicales, de palpations, de prélèvements, ce corps qui sans cesse se rappelle à elle, qui, petit à petit, la tient prisonnière. Dévastation progressive du corps et de l’esprit.
Ce texte, présenté comme un roman, est le premier de Claire Marin qui démontre ici une incroyable aptitude à dire ce qui relève le plus souvent de l’indicible parce qu’il n’y a pas de mots assez forts pour dire tant de maux, parce qu’il y a la pudeur encore, et la peur, la honte aussi.
Sans jamais sombrer dans la complaisance pathétique ni l’exhibition malsaine, mais en gardant au contraire une froide lucidité (la seule qui puisse en vérité faire tenir dans l’épreuve), l’auteur livre ici un récit fort, violent, qui dit la maladie et tous ses désastres dans les moindres détails, comme pour mieux les tenir à distance. Ecrire, raconter, évoquer pour ne pas abdiquer.
Ce monologue, parfois un peu redondant, peut certes lasser, mais force est d’admettre qu’il décortique avec une rare justesse le processus de la prise de possession d’un être tout entier par un mal terrible. Un mal d’abord ennemi puis compagnon de vie, de survie.
Et tout cela avec une écriture admirablement maîtrisée.
Extrait :
« Les habitudes des médecins ont contaminé toutes les mains. Je ne ressens plus les caresses mais des palpations. Tous les gestes sont traduits, réinterprétés selon les catégories médicales. On ne me touche plus, on m’ausculte. Toute pénétration est une intrusion. Le corps est usé, abîmé par les transformations, les frottements, la peau abrasée par les adhésifs, bleuie par les prélèvements, les ponctions, les perfusions. Cette chair tachetée n’étonne pas les soignants. J’ai l’impression qu’un corps d’enfant turbulent, couvert de bleus à force de tomber et de se cogner partout, s’est égaré dans ma vie. Des bleus d’enfant sur un corps prématurément vieilli. L’ordre des choses est chamboulé. » (p. 107)
Note : + +