Note de lecture : « Sans Sang » d’Alessandro Baricco, folio.
Extrait :
« Elle essaya de se demander d’où venait cette absurde fidélité à l’horreur, mais elle s’aperçut qu’elle n’avait pas de réponse. Elle comprenait seulement que rien n’est plus fort que cet instinct de revenir là où on nous a brisés, et de répéter cet instant pendant des années. En pensant seulement que ce qui nous a sauvés une fois pourra nous sauver à jamais. Dans un long enfer identique à celui d’où nous venons. Mais clément tout à coup. Et sans sang » (p.121)
Ce court texte de Baricco, écrivain qui semble particulièrement affectionner la concision, est vertigineux, fulgurant. Avec une écriture incisive, percutante, il entraîne le lecteur dans un univers d’une rare intensité tragique. Le récit, dans lequel les dialogues jouent aussi un rôle essentiel, aborde la problématique ô combien délicate et fascinante de la vengeance et pose plusieurs questions qui en découlent : ainsi, la vengeance peut-elle devenir légitime ? Est-elle une fin en soi ou un simple moyen convoqué pour survivre malgré tout ? La vengeance de la victime peut-elle rendre possible la rédemption du coupable ? Et la rédemption du coupable peut-elle rendre vain tout désir de vengeance ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que le pardon ? Qui cherche-t-on à pardonner, soi-même d’avoir survécu au drame, ou celui qui en est le monstrueux exécutant? Enfin, la victime ne construit-elle pas sa propre identité sur le terreau de l’horreur qu’elle a vécue et ne va-t-elle pas jusqu’à se complaire, parfois, dans l’immondice de ce traumatisme ?
Sans jamais sombrer dans le discours moralisateur, en évitant les pièges du texte théorique ou didactique, Baricco nous confronte par le biais de l’itinéraire d’un personnage poignant à toutes ces interrogations et nous oblige, nous contraint même à nous les poser, à défaut de pouvoir y répondre.
Note : 7/10