Cinéma : « Home » de Ursula Meier.
Autant le dire tout de suite : ce film au scénario aussi original que déroutant ravira les amateurs de surréalisme et de poésie drolatique mais agacera profondément les esprits pragmatiques et rationalistes. Parce qu’il faut bien l’admettre : cette famille composée du père (Olivier Gourmet, excellent, comme toujours), de la mère (Isabelle Huppert, plus époustouflante que jamais dans son aptitude magistrale à mêler légèreté et gravité, drôlerie et émotion) et des trois enfants est plutôt atypique. D’ailleurs, ne vivent-ils pas tous les cinq dans une maison située dans un no man’s land, au bord d’une autoroute dont l’ouverture est sans cesse reportée depuis plus de 10 ans ? Une famille étrange donc mais qui en vérité peut en rappeler beaucoup d’autres, avec l’aînée, post adolescente qui passe toutes ses journées à écouter du hard rock en se faisant bronzer sur une chaise longue ; le père, qui part travailler chaque matin ; et la mère bien sûr, qui reste au foyer pour faire tourner les machines à laver, un jour le blanc, un jour les couleurs…
Oui, mais voilà, lorsque l’autoroute ouvre et que se mettent tout à coup à défiler devant les vitres de la maison des milliers de voitures, le cocon familial s’ébranle, se fissure, d’autant que la mère refuse catégoriquement de quitter les lieux et ce malgré le bruit insoutenable, les vibrations, les dangers. Car il en faut une bonne dose de courage et d’insouciance pour faire traverser l’autoroute chaque matin à deux enfants qui doivent aller à l’école. Mais la mère est prête à tout, oui, à tout, y compris à cette aventure de l’extrême quotidienne, pourvu qu’elle arrive à sauver l’équilibre difficilement reconstruit de sa petite famille … Voici donc un film qui révèle dès ses premières images un univers original et qui fait à la fois penser à Ionesco, à Beckett ou à Kafka. Un film qui impose un univers déjanté, loufoque, poétique mais aussi inquiétant, angoissant, parfois même oppressant. Un de ces univers où tout peut basculer brusquement, parce qu’un grain de sable s’est immiscé dans la mécanique jusqu’alors parfaitement huilée. Ce long métrage est en fait à découvrir comme une fable, à appréhender comme un apologue. Le scénario est toujours à la lisère du possible et du surréalisme, du vraisemblable et de l’absurde. Aussi la réalisatrice nous immerge-t-elle dans son monde, ses délires, ses obsessions, tout en nous conduisant à réfléchir par nous-mêmes ; à penser à ce qui caractérise fondamentalement une famille ; à prendre conscience des menaces que représente le monde extérieur, celui de la vitesse et de la technologie polluante ; à mesurer la difficulté de s’en protéger et la nécessité, in fine, de faire des concessions, pour survivre, malgré tout. En ce sens, Ursula Meier s’impose comme un auteur à part entière.
Au spectateur donc de construire le ou plutôt les sens du film, d’interpréter cette métaphore cinématographique, sans oublier bien sûr d’apprécier un tel concentré de fantaisie, d’audace, de folie et d’admirer le jeu des acteurs, tous les cinq vraiment formidables…
L’avis de Yohan sur son blog :
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