Cinéma : « Séraphine » de Martin Provost.
Le jour, Séraphine Louis est domestique et exécute diverses taches, lessives, ménages, sans jamais se plaindre. La nuit, dans sa petite chambre qui lui sert d’atelier, elle s’adonne en secret à sa véritable passion : la peinture. Utilisant des mélanges de terre, de sang et d’huile de lampes volée à l’église, Séraphine peint des heures durant. Sur de petites planches de bois, elle peint des fleurs, des feuillages, des arbres aussi. Surtout des arbres, parce qu’elle les aime infiniment et que c’est auprès d’eux qu’elle vient se consoler lorsqu’elle a du chagrin. Ainsi donc va la vie simple de Séraphine Louis, à Senlis, près de Paris, en 1914, jusqu’à ce qu’un Allemand, critique d’art et collectionneur averti, découvre par hasard ses peintures. L’homme l’encourage alors à poursuivre, à travailler, à développer ce qu’il appelle son talent. Toutefois, la grande guerre éclate et le raffiné Wilhelm Uhde se doit de rentrer dans son pays, de partir en pleine nuit, comme un voleur, abandonnant de nouveau Séraphine à son quotidien de misère. Et il faudra attendre 1923 pour qu’il la retrouve, alors que pendant toutes ces années elle a continué à peindre mais que la folie la guette, elle qui dit entendre les voix des anges ; elle qui affirme parler à la Vierge Marie ; elle encore qui, victime de crises de délire, sera internée de force dans un asile psychiatrique. Elle enfin qui y mourra, en 1942, et dont la dépouille que personne ne réclamera sera jetée dans la fosse commune.
Avec l’empathie qui convient à son sujet, Martin Provost retrace ici l’itinéraire de cette Séraphine Louis, domestique dévote et pauvre devenue aujourd’hui Séraphine de Senlis, peintre reconnue. Le cinéaste réussit à merveille à installer une atmosphère, une époque, à filmer le quotidien de son personnage. Il donne à voir ses journées de labeur, ses promenades dans la nature, ses nuits passées à peindre, ses regards douloureux ; il donne à entendre ses prières murmurées, ses chants religieux déclamés, ses soupirs. Admirablement servi par l’interprétation de Yolande Moreau, bouleversante et incroyable de justesse, ce long métrage retrace le parcours d’une artiste maudite, longtemps méconnue, sœur de souffrance et de génie d’une Camille Claudel (elle aussi née en 1864 et elle aussi morte dans un asile). Le film pose également la question délicate du rapport de la création et de la folie, du basculement de l’une à l’autre. La beauté des images, la mélancolie de la musique, la qualité de l’interprétation, tout contribue incontestablement à la réussite de ce film.
En fait, Séraphine est une œuvre authentique qui ose aller à rebours de la frénésie contemporaine, du bruit et de la fureur de notre époque. Une œuvre qui prend vraiment son temps ; qui s’autorise la lenteur. Et c’est précisément pour cela qu’elle émeut.
Enfin, en bien des points, ce film, justement récompensé par 7 César dont celui du meilleur film de l’année 2009, rappelle les plus beaux textes de Michèle Desbordes, qu’il s’agisse de la magnifique Robe bleue dont l’héroïne n’est autre que la Camille Claudel internée par sa propre famille dans l’asile de Mondevergues ou encore du superbe livre la Demande, récit bouleversant d’une amitié silencieuse entre une vieille servante résignée et un artiste, grand maître venu d’Italie, sans doute Léonard de Vinci.
Pour lire l’avis de Yohan, cliquer sur le lien suivant :
http://livres-et-cin.over-blog.com/article-23685785.html
« L’arbre de Vie », peinture de séraphine de Senlis
Séraphine de Senlis