Cinéma : « La Journée de la jupe » de Jean-Paul Lilienfeld.
Sonia Bergerac est professeur de Lettres dans un collège difficile, un établissement pudiquement classé zone sensible par l’administration de l’Education Nationale. Elle tente d’y enseigner le français et accessoirement la littérature à des élèves pour lesquels la violence verbale et physique est devenue une norme, le seul mode d’expression possible. Des élèves sans repères, pétris de haine, de rancoeurs, de frustrations, de douleurs tues, et que le système éducatif se révèle bien incapable de maîtriser. Des voyous en puissance pour beaucoup. Pourtant, Sonia Bergerac s’efforce malgré tout de leur transmettre ce savoir qui pourrait les émanciper, cette culture qu’elle a elle-même conquise et qui les sauverait sans doute d’un naufrage que d’aucuns pensent inéluctable.
Mais un jour, alors que l’agitation est à son comble, un revolver tombe du sac d’un petit caïd de la classe. Contre toute attente, la prof s’en saisit et prend sa classe en otage, braquant ces petites pestes qui lui en ont tant fait voir. Commence alors dans le sous-sol du collège un huis clos oppressant durant lequel la tension ira crescendo, jusqu’au dénouement paroxystique.
Autant le dire tout de suite, la Journée de la jupe est un film très réussi, à la fois intelligent, courageux et audacieux dans son propos. Construit comme une vraie tragédie qui respecte les unités de temps et de lieu, l’œuvre montre l’opposition radicale de deux générations, de deux visions du monde, de deux conceptions de la vie sociale. D’un côté, la prof avec ses idéaux républicains, sa croyance aux pouvoirs salvateurs du savoir ; de l’autre, des jeunes gavés d’extrémismes en tous genres et dominés par la bêtise crasse qui est la leur. Entre la prof et ses élèves la confrontation ne pourra donc qu’être terrible et tourner au règlement de comptes.
Sans tabous ni retenue, le film soulève de vrais sujets de société comme la place des filles dans les banlieues, la fonction de l’école dans ces zones urbaines défavorisées, la question des origines ou encore de la construction de l’identité. Il met également en scène des personnages qui touchent parce qu’ils n’ont rien de manichéen, des êtres ambivalents, courageux et lâches, sincères et fourbes, manipulateurs et manipulés.
Avec la Journée de la Jupe, Jean-Paul Lilienfeld signe donc une œuvre dérangeante, coup de poing, qui ne se veut jamais moralisatrice ; une œuvre qui pose davantage de questions qu’elle ne propose de réponses, qui interpelle et qui perturbe, qui sidère et met mal à l’aise, ce que peu de longs métrages osent faire aujourd’hui.
Enfin, ce réalisateur talentueux, qui se révèle capable de mettre en scène avec une efficacité redoutable, permet surtout à Isabelle Adjani de faire un retour remarquable, lequel retour démontre à ceux qui pourraient l’avoir oublié combien elle est une grande actrice quand elle sert un scénario digne de son talent.