Archives pour la catégorie « Et pour le pire, fragments de vies » (Nouvelles).

Désormais, « Ce Silence-là » et « Et pour le pire » disponibles en versions numériques !

Désormais, le roman Ce Silence-là et le recueil de nouvelles Fragments de Vies

sont disponibles en versions numériques,

téléchargeables pour la liseuse Kindle d’Amazon.

Fragments de Vies

Ce Silence-là

Ce Silence-là peut être téléchargé sur le lien suivant pour 3,21 euros :

http://www.amazon.fr/Ce-Silence-l%C3%A0-ebook/dp/B007HDWZSI/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1331044568&sr=8-5

Fragments de Vies peut être téléchargé sur le lien suivant pour 3,60 euros :

http://www.amazon.fr/Fragments-de-Vies-ebook/dp/B007FRLG54/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1331044568&sr=8-4

Article paru dans « La République du Centre » le vendredi 18 novembre 2011.

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Pour une meilleure lisibilité, cliquez sur l’article !

« Et pour le Pire », nouvel avis publié sur « Le Blog de Jostein » :

 Ci-dessous un avis critique sur « Et pour le Pire »

publié aujourd’hui 21 avril 2010 sur le site  »Sur la route de Jostein » :

Lien : http://surlaroutedejostein.over-blog.com/

(Merci à son auteur que je ne connais pas… mais qui sait… un jour peut-être…)

 « Ces courtes nouvelles traitent de thèmes très forts comme la mort, les accidents, le suicide, les psychoses, la dénonciation. Ce sont des cas extrêmes mais  le lecteur y retrouve obligatoirement des émotions ressenties par lui-même ou ses proches.

Les thèmes sont traités avec force, sensibilité et suspense. J’y ai retrouvé plusieurs émotions comme la peine, la tendresse, l’espièglerie. Les histoires vont quelquefois à la limite de l’absurde mais là aussi, ce registre est manié avec intelligence.

Chacun sait qu’il faut parfois peu de choses pour que la vie bascule.

J’admire la façon dont l’auteur s’approprie les différents registres. Il peut se mettre à la place d’un enfant abandonné, d’une femme meurtrie, d’une veuve âgée et espiègle, d’un homme excédé, tel un acteur ou un homme de théâtre.

Le style et la construction littéraire sont excellents avec des phrases riches, un rythme adapté aux émotions, un maintien de l’angoisse et du suspense. « 

Extrait du recueil « Et pour le pire » , nouvelle intégrale « Un père qui pleure ».

Un père qui pleure

« Il y avait eu comme un retour illusoire à la douceur des premiers temps.

Mais cela aussi était le signe que les choses entre eux atteignaient leur terme. »

Danièle Sallenave, Un printemps froid.

Je n’ai jamais réussi à t’en vouloir. On n’en veut pas à un père qui pleure. Tu semblais tellement désemparé, tellement malheureux d’avoir à m’annoncer cette triste nouvelle. Tu partais. Parce qu’il le fallait ; tu ne pouvais pas faire autrement, tu ne pouvais plus faire semblant. Tu avais longtemps réfléchi pour essayer de trouver une autre solution. Tu avais passé des nuits blanches à chercher comment faire, comment m’éviter cette douleur, ce traumatisme. Car tu savais que cela en serait un. Il ne pouvait en être autrement. Un père qui part est toujours une blessure, et ton départ l’a été. Alors, comment me faire comprendre ? Comment me dire ?

Un soir, tu es venu, tu m’as rejoint dans ma chambre au fond du couloir. Il était déjà tard, je ne dormais pas encore. Tu n’as pas eu à me réveiller. Tu t’es assis sur le bord de mon lit et ta grande, ta large main m’a caressé le visage. J’aurais voulu être bien, profiter de ce moment avec toi, de cette complicité, de ce silence partagé, de ta chaleur, mais je voyais que tu étais désemparé, et tellement malheureux ; je devinais que ton geste n’était que le préambule à des mots qui allaient venir et qui allaient détruire cette fragile harmonie. Des mots qui feraient mal, qui feraient aussi que plus rien ne serait comme avant. Pour être sincère, je redoutais cet instant mais je savais au fond de moi qu’il arriverait. J’en avais l’étrange certitude. Il ne pouvait qu’arriver. Forcément. Depuis des mois déjà, je l’attendais, avec crainte, dans l’obscurité de ma chambre, dans l’épaisseur de mes idées noires. J’attendais et je comptais les jours. Car, du haut de mes dix ans, je sentais bien que ton regard n’était plus le même. Je surprenais souvent la tristesse sur ton visage comme je voyais le chagrin sur celui de maman. Mes parents unis dans la mélancolie. Les silences entre vous se faisaient de plus en plus longs, de plus en plus lourds. Vous ne vous donniez plus la main. Vous ne marchiez plus côte à côte. Malgré mes efforts, mes ruses d’enfant, vous vous évitiez et vous ne vous frôliez plus, parfois, que par inadvertance. Je m’attendais donc à ce que tu viennes, un jour, un soir, dans ma chambre, à ce que tu m’expliques que tu avais quelque chose à me dire et je savais exactement ce qu’était ce quelque chose. Oui, je savais précisément ce que tu me dirais.

Tu m’as parlé mais je me souviens surtout de tes larmes. Je ne t’avais jamais vu pleurer, toi, mon père, mon héros infaillible, ma référence. Je ne pensais pas que tu pourrais pleurer. Et à mon chevet, ce soir-là, tu pleurais. Alors, je t’ai pris dans mes bras d’enfant pour te consoler, pour te faire croire que ce n’était pas grave, pour te murmurer que je comprenais, que de toutes façons, même parti, tu resterais mon papa. Qu’entre nous, ce serait toujours pareil. À mon tour, je t’ai caressé le visage ; j’ai passé ma petite main dans tes cheveux noirs et épais.

Ainsi, il était arrivé ce moment que j’avais redouté. Tu t’en allais. Tu partirais, le lendemain. Il ne fallait plus attendre as-tu indiqué. Tout était prêt. Tu prendrais tes affaires, tes vêtements, tes livres, tes disques préférés, tout ce qui te ressemblait, tout ce qui marquait ta présence, tout ce qui disait celui que tu étais, tout ce que j’avais toujours vu autour de moi et qui me rassurait et tu irais vivre dans un autre appartement, avec une autre femme que tu avais rencontrée, que tu aimais disais-tu, parce que parfois l’amour pour celle qui est la mère de son fils s’éteint, sans raison, c’est comme ça, et un sentiment semblable, aussi beau, aussi fort, plus fort encore, un sentiment irrésistible, contre lequel on ne peut lutter, naît pour une nouvelle personne. C’est ce que tu m’expliquais entre deux sanglots maladroitement contenus. Tu irais de l’autre côté de la ville mais, bien sûr, tu continuerais à venir, à me voir, à m’aimer, et moi aussi je viendrais chez toi, chez vous, chez nous, dans cet autre appartement où une grande et belle chambre me serait réservée. Une chambre que je serais autorisé à décorer à mon goût, exactement comme je le voudrais. Je crois que ce sont ces mots-là que tu m’as dits. De maman, tu ne m’as pas parlé. Et tandis que tu prononçais ces phrases dont je pensais que tu avais dû les préparer, les apprendre, les répéter, peut-être même les écrire toi qui aimais tant écrire sur de petits carnets mystérieux, je l’imaginais, seule, toute seule, dans le salon, en bas, en train de pleurer, elle aussi. Tu m’as embrassé comme on embrasse quelqu’un qu’on a peur de ne pas revoir. Intensément. Tu m’as serré fort, si fort que tu m’as fait mal, et puis tu es sorti de ma chambre. Tu m’as paru différent, presque déjà vieux. Un autre.

C’est ainsi que tu es parti mais avec moi j’ai conservé ta chaleur, ton odeur, l’empreinte de ta grande et large main et surtout le goût de tes larmes. Des larmes de mon père, j’en ai fait mon plus beau trésor, mon secret. Comme un ultime cadeau en souvenir du temps d’avant.

Lorsque je me suis réveillé, tu n’étais déjà plus là. Je me suis retrouvé seul avec elle pour qui ton amour s’était éteint. Elle avait les yeux un peu gonflés, elle semblait fatiguée, ses mains tremblaient parfois, mais elle me souriait, elle me disait des mots tendres, réconfortants, elle me faisait des promesses, elle me proposait mille choses à entreprendre. Elle conjuguait les verbes au futur pour que je ne perde pas espoir. Elle n’arrêtait pas de parler cherchant à combler à sa manière ton absence. Elle m’embrassait également, aussi fort que tu l’avais fait, à me faire mal, à m’étouffer. Elle était belle, ma mère, et je l’ai consolée. En fait, j’ai passé le reste de ma vie à la consoler.

Tu vois, malgré tout ce que tu penses, malgré ce que tu as toujours pensé, je ne t’en veux pas. Peut-être même t’ai-je compris, admirant ton courage, car il en faut du courage pour revendiquer son envie d’être heureux, pour refuser l’ennui et les rancoeurs, pour jouer le rôle, le mauvais rôle, de celui qui part, qui abandonne un petit garçon, qui laisse seule une femme blessée. Pour aller dans un autre appartement de l’autre côté de la ville avec une autre femme. Non, je ne t’en veux pas parce qu’on n’en veut pas à un homme qui pleure, qui pleure d’avoir à dire ce qu’il a à dire, qui pleure d’avoir à partir.

Et parfois même, l’homme que je suis devenu, l’époux, le père, le héros infaillible sur lequel se posent les yeux de ses fils, se demande s’il ne devrait pas pleurer, à son tour, un soir, dans une chambre d’enfant.

                                                            

(© 2008/droits réservés)

                                                                                                                             Fragments de vies

Bientôt : 4ème édition des « Bouquinales » d’Ingré (Loiret), 4 et 5 décembre.

    Cette année, les « Bouquinales » d’Ingré se tiendront les 4 et 5 décembre 

Elles auront pour thème « Histoires d’équilibres ».

Au programme : salon du livre, dédicaces, rencontres, conférences, spectacles, ateliers et animations diverses…

J’aurai le plaisir d’y être le samedi 5 décembre auprès d’autres auteurs invités. 

 

Bientôt : 4ème édition des

 

Extrait du recueil de nouvelles « Et pour le pire (fragments de vies) ». Nouvelle intégrale « Ton frère, ce clandestin ».

Ton frère, ce clandestin

« Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte. »

Corneille, Le Cid.

Je te remercie d’être venu malgré la haine que nous t’inspirons. Non, ne m’interromps pas, s’il te plaît. Il est désormais inutile de faire semblant. Je sais que tu ne nous aimes pas, que tu ne nous as jamais aimés. Ta mère aussi le savait ; plus que quiconque, elle le sentait. Et d’ailleurs, tu as raison de ne pas nous aimer. Nous ne méritons que cela, ta haine, tes reproches, au mieux ton indifférence. Nous ne sommes pas dignes de l’affection, de la tendresse d’un fils. Aussi, je te remercie de tout coeur d’avoir été à mes côtés ces derniers jours, de m’avoir soutenu dans ce que les autres appellent une dure épreuve ; oui, je te suis reconnaissant d’avoir su porter le masque du deuil et, surtout, d’avoir été capable, malgré tout, d’accompagner cette femme, ta mère, jusqu’à son ultime souffle. Mais je voudrais quand même que tu saches que nous n’avons pas toujours été ces gens graves et maussades que tu as connus ; que nous n’avons pas toujours ressemblé à ces personnages sombres et tristes, à ces êtres pitoyables que tu as choisi de quitter quand enfin est arrivé le jour de ta ajorité.

Non, nous avons été autres. Il y a longtemps. Avant. Avant le drame, ce drame que je me dois de te révéler aujourd’hui. Parce que je sais que dès demain tu repartiras, que tu retourneras là-bas, que tu rejoindras ta nouvelle vie, et que tu m’oublieras définitivement. Il ne peut en être autrement. C’est ainsi que vont les choses. Et c’est ainsi qu’elles doivent forcément se passer.

Alors, je vais te dire, te raconter, et après, seulement après, tu pourras partir. Tu seras enfin libre de disparaître, de nous renier.

Ta mère et moi vivions ensemble depuis plus de deux années dans un petit appartement que nous avions loué en centre-ville. Je travaillais, elle aussi. Nous démarrions dans la vie active et nous étions fiers de pouvoir subvenir à nos besoins. Ta mère aimait beaucoup le cinéma, le théâtre et la lecture. Cela te surprend, n’est-ce pas ? Toi qui ne l’as connue qu’en train de broder des figures insignifiantes ou de tricoter des écharpes que personne n’a jamais portées. À l’époque, elle appréciait tout particulièrement les vieux films en noir et blanc, les comédies américaines surtout, que nous allions voir dans des petites salles de quartier désormais disparues. Et puis, nous avions beaucoup d’amis, si, si, je te l’assure, des camarades rencontrés à l’université ou encore des collègues de bureau, quelques voisins avec lesquels nous avions sympathisé aussi. Je crois pouvoir affirmer sans me tromper que nous étions heureux et que rien n’aurait pu laisser deviner qu’un jour tout basculerait, qu’un jour notre existence serait marquée par le silence, par le poids de la honte et du secret, par une inexorable solitude qui détruirait tout.

Je rentrais souvent tard le soir, mes nouvelles responsabilités professionnelles m’obligeant à m’investir sans compter les heures. Mais ce n’était pas un problème : j’adorais mon métier et celui-ci participait à mon épanouissement. Lorsque j’arrivais chez nous – j’aimais bien dire « chez nous », penser « chez nous » – lorsque j’arrivais chez nous donc, je retrouvais généralement ta mère en train de regarder un reportage à la télévision ou encore de lire le dernier roman qu’elle avait emprunté à la bibliothèque municipale. Elle dévorait plusieurs livres par semaine. Sa voracité littéraire impressionnait tout le monde. Le plus souvent, nous improvisions un repas frugal, en tête à tête ; quelques pâtes au beurre ou un plat surgelé suffisait à satisfaire notre appétit.

Parfois, pour fêter une occasion quelconque, nous retrouvions des connaissances dans un petit restaurant chinois bon marché et dont le propriétaire nous était à tous fort sympathique. Un certain monsieur Ling, je m’en souviens encore. Un bonhomme affable, grassouillet et toujours souriant. Il nous appelait « ses enfants » et parlait avec un fort accent en gesticulant dans tous les sens. Avec ta mère, nous lui avions même imaginé un destin rocambolesque digne des meilleurs romans d’aventure. Cela commençait par une arrestation pour rébellion contre le régime totalitaire de son pays ; suivaient ensuite une évasion héroïque de prison, un voyage éreintant et dangereux dans des cales de bateaux de toutes tailles, un exil de plusieurs mois à travers divers paysages inhospitaliers ; et l’aventure se terminait enfin par l’arrivée en terre promise, la France, et la découverte émerveillée du capitalisme appliqué à la gastronomie et à la restauration.

Tu vois, c’était bel et bien une période de bonheur et d’insouciance. En fait, ce n’est que plus tard que la tristesse s’est abattue sur nous, qu’elle nous a radicalement transformés, contaminés.

Un jour de mai 1988, une réunion avec mes directeurs d’agence m’avait retenu jusqu’à une heure avancée. Il avait été question d’une réorganisation complète du service comptable ainsi que d’un nouveau poste de direction à pourvoir. Mes collaborateurs m’avaient indiqué que j’étais pressenti pour occuper cette fonction que beaucoup de mes collègues convoitaient. Inutile de te dire que j’étais fier de la proposition qui venait de m’être faite et que je m’impatientais de pouvoir en discuter avec ta mère. Mais en ouvrant la porte de l’appartement, j’ai tout de suite noté son absence. Étrangement, elle ne se trouvait pas dans le salon où elle avait pour habitude de se tenir. Je me souviens avoir alors pensé qu’elle avait dû improviser une sortie avec sa meilleure amie, une certaine Corinne, pour me punir de l’avoir ainsi fait attendre et de ne pas l’avoir avertie de mon retard. Cette idée m’a fait sourire et je me suis affalé dans le canapé afin de savourer un repos que j’estimais plus que mérité.

Je suis resté dans cette position, allongé, la tête posée sur l’accoudoir, pendant un long moment. Je profitais du silence, du calme, rêvant à mes nouvelles responsabilités professionnelles, m’imaginant en charge d’une équipe de plus de vingt personnes. De temps en temps parvenaient jusqu’à moi les rumeurs assourdies des appartements voisins. Quelques échos de voix dont je reconnaissais le timbre, les intonations, mais auxquelles j’étais incapable d’associer un visage ni même un nom. Quelques bruits de pas aussi, qui allaient et venaient selon des cadences irrégulières. C’était un bercement agréable. Autant de sons familiers qui m’aidaient à me détendre. Je suis resté ainsi assoupi pendant plus d’une demi-heure, peut-être davantage, et il faisait déjà nuit lorsque je me suis enfin décidé à sortit de ma torpeur pour aller prendre une douche. Ce soir-là, je me sentais bien, apaisé, j’avais des projets plein la tête et j’étais loin de m’imaginer que…

Le choc a été terrible, indescriptible. Il n’y a pas de mots assez forts pour dire ce que j’ai découvert, pour exprimer ce que j’ai ressenti. Il faudrait pouvoir te montrer l’image qui est restée imprimée dans mon esprit, gravée dans mon cerveau, au fond de mes yeux. Ta mère gisait inanimée dans la baignoire. Son corps reposait dans une eau sanglante à la surface de laquelle flottaient divers caillots et autres matières organiques suspectes et filandreuses. Sur le moment, j’ai tout de suite cru à un malaise, à une hémorragie. Je me suis donc précipité pour lui venir en aide, pour essayer de la ranimer. Elle ne répondait pas à mes appels, à mes cris, à mes caresses, mais elle respirait encore, très faiblement. Et c’est en fait en la soulevant pour la sortir de la baignoire, de cette eau souillée, que j’ai vu ce que je voudrais n’avoir jamais vu. Cette chose qui pendait, inerte, cette masse qui était reliée à elle, à son sexe, par une sorte de boyau blanchâtre et visqueux. Cette chose qui était un bébé. Oui, Paul, un cadavre de nourrisson entre les jambes de ta mère. Un corps minuscule, violacé, recroquevillé, déjà gonflé d’eau. Un nouveau né mort noyé, asphyxié. C’est en tout cas ce qu’affirmerait catégoriquement, quelques heures plus tard, le médecin légiste responsable de l’autopsie.Il a fallu beaucoup de patience au commissaire de police et aux médecins pour me présenter l’inconcevable. Ils ont mis beaucoup de temps à m’expliquer ce qui s’était passé. Un temps infini durant lequel ils ont répété, calmement, à tour de rôle, les mêmes phrases, les mêmes mots ; un temps infini durant lequel ils m’ont livré une à une les conclusions de l’enquête, conclusions d’ailleurs corroborées par les déclarations faites par ta mère qu’ils s’étaient empressés d’interroger dès son réveil à l’hôpital. Ainsi donc, aucun doute n’était permis. Il s’agissait bien de ce qu’ils ont appelé un déni de grossesse. Un déni total, ont-ils ajouté. Un trouble psychiatrique grave et plutôt rare paraît-il.

Aussi fou que cela puisse sembler, ta mère n’avait en vérité pas réalisé qu’elle était enceinte. Depuis plus de six mois, elle portait en elle la vie et elle ne s’en était pas rendu compte. Elle avait tu le bruit de ce petit être qui poussait en elle, qui s’accrochait à elle, qui n’attendait que de grandir. Elle n’avait rien senti de ses mouvements, de ses coups de pieds sur la paroi abdominale. Et de toutes ses forces inconscientes, elle avait contenu ce ventre qui ne demandait qu’à s’arrondir. Pendant tout ce temps, six mois, presque sept, 25 semaines disaient les médecins, son corps avait catégoriquement refusé les signes de la grossesse, comme son esprit d’ailleurs. Oh ! je vois bien à ton air que tu brûles de me poser  la question. La grande, l’inévitable question. Celle que je me suis moi-même si souvent posée et que je me pose encore. La seule qui importe vraiment. Pourquoi ? Pourquoi puisque nous nous aimions, puisque nous étions heureux ensemble, puisque nous envisagions de fonder une famille, puisque tout allait bien. Pourquoi ? Oui, pourquoi ? Personne n’a su en vérité. Personne n’a réussi à trouver une explication cohérente. Ni ta mère, ni moi, ni tous ces spécialistes qui nous ont parlé et qui se perdaient en conjectures confuses, voire contradictoires. L’unique certitude qui est aujourd’hui la mienne est que ta mère n’avait réellement rien vu, rien senti, pas plus que moi qui partageais ses jours et ses nuits, qui dormais avec elle, qui caressais son corps, qui la possédais ; moi qui ne me lassais pas de la regarder et de la désirer avec des yeux d’amant.

Ce soir de mai 1988, quand elle avait ressenti de violentes douleurs, elle avait d’abord cru à une gastroentérite ou à une crise de colique. C’est pourquoi elle s’était dit qu’un bain chaud lui ferait du bien, qu’il la soulagerait. D’après son témoignage recueilli par les gynécologues et psychiatres qui se sont occupés d’elle, les faits s’étaient déroulés très vite. En quelques minutes à peine. La chose était sortie toute seule, comme expulsée par une force intérieure et impossible à maîtriser, et puis, plus rien. Aucun bruit, aucun mouvement. Seulement la stupéfaction, la sidération de découvrir cette masse inerte dans l’eau trouble et salie. Cette masse à laquelle j’ai été contraint de trouver un prénom. David. Parce qu’on n’enterre pas un être, aussi petit puisse-t-il être, sans identité. Parce qu’on n’est pas le père d’un enfant non reconnu. Et parce qu’il fallait bien inscrire quelque chose sur cette plaque argentée qu’un employé des pompes funèbres au regard torve avait du mal à visser sur le petit cercueil blanc. David donc. David, mon fils, ton frère. L’aîné de la famille. Celui qui le premier aurait dû m’appeler papa et que j’aurais dû voir grandir. Celui à qui j’aurais dû apprendre à marcher, à parler, à faire du vélo, à compter, à écrire. Comme je l’ai fait avec toi, dix ans plus tard, mais sans plaisir. David, mon enfant clandestin.

Je me doute que tu te demandes pourquoi je te raconte tout cela aujourd’hui, ce soir, alors que nous venons d’abandonner ta mère au fond de ce trou, là-bas, dans ce cimetière ; alors que tant de temps a passé. Je te le dis parce que les morts appellent les morts. Ils se répondent. Et leurs voix viennent parfois jusqu’à nous, les vivants. Ta mère m’avait toujours fait promettre que je ne parlerais à personne de cette sombre histoire. Un mauvais souvenir, juste un cauchemar, disait-elle. Elle prétendait vouloir tourner la page.

Après cinq mois d’hospitalisation, deux ans de suivi psychiatrique et la terrible épreuve d’un procès à l’issue duquel elle a été condamnée à 3 ans de prison avec sursis pour homicide involontaire sur mineur de moins de quinze ans, ta mère a cru être capable d’oublier, de construire une nouvelle vie. Cette vie, ce serait moi dont elle espérait tellement obtenir le pardon, ce serait ce pavillon que nous allions faire construire dans une banlieue cossue, et puis ce serait toi surtout, toi l’enfant de la revanche qui viendrait au monde huit ans plus tard. Ta mère a pensé qu’avec toi, elle pourrait réparer sa faute, l’effacer ; elle a imaginé que tu pourrais remplacer l’autre enfant, le fils nié, le fils perdu. Que tu pourrais enfin lui faire découvrir la maternité dans ce qu’elle peut avoir de plus beau. Elle a songé qu’il suffirait de t’aimer, de prendre soin de toi pour que disparaisse le souvenir de cette chose d’épouvante flottant dans l’eau ensanglantée. Mais elle s’est trompée. Radicalement trompée. Car, malgré toute sa volonté, elle n’a pas su te chérir et elle n’a jamais réussi à te considérer comme son fils. Tu existais, certes, tu pleurais, tu l’appelais, tu la réclamais, tu étais là avec elle, près d’elle, entre nous, mais tu restais fatalement un intrus, un imposteur. Un usurpateur d’identité qui s’ignorait. Parce qu’en fait, son fils, son seul fils, c’était lui. Ce ne serait jamais que lui. Et c’est à lui exclusivement que devait revenir tout son amour de maman.

La disparition de ta mère m’autorise enfin à lever le voile sur cet absurde secret. En te le livrant, je me déleste d’un poids devenu trop lourd à porter. Je suis fatigué, tu comprends. Et puis, cette histoire donnera un sens à la haine que tu nous portes ; elle permettra même de la justifier en quelque sorte. Tu vois, tu as raison de nous détester et il ne faut surtout pas t’en vouloir. Entre nous rien ne va ni ne doit changer. Mais maintenant, tu sais que tu as eu un frère tout comme je sais et je dirai à qui veut bien l’entendre que j’ai eu deux enfants, deux fils. Lui, David ; toi, Paul. L’un que je n’ai pas connu, l’autre que j’ai si mal aimé. 

(© 2009/droits réservés)

Extrait du recueil de nouvelles
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bibliotheca Et pour le pire

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Billet critique sur « Et pour le pire » paru sur le site « Bibliotheca – Dans l’univers des livres ».

Billet critique sur le recueil Et pour le pire

paru sur le site « Bibliotheca – Dans l’univers des livres »

le 29 avril 2009.

Lien vers le site : http://bibliotheca.skynetblogs.be/

 

29-04-2009 Bellucci, Franck
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bibliotheca Et pour le pire

Pour le meilleur… et pour le pire… surtout, le pire qui arrive toujours à un moment ou un autre de la vie. Dans ces quatorze nouvelles, ou fragments de vies, l’écrivain français Franck Bellucci nous fait entrevoir ce pire tel qu’il se produit si souvent, de la façon la plus banale dans la plupart des cas, et qui toujours fait tout basculer de façon irrémédiable. Dans la première nouvelle Choc frontal, c’est un accident de voiture qui intervient, la mort qui s’ensuit et l’autre qui ne peut accepter la réalité. Et cette première histoire donne parfaitement le ton au reste du recueil. Si dans la première nouvelle la rupture vient par la disparition d’un être cher, dans d’autres elle dû à une maladie, un divorce, une infidélité, un héritage, la folie,… tout est possible. Les quatorze nouvelles ne sont toutefois pas toujours aussi graves, certaines étonnent même par leur légèreté. Dans sa narration l’auteur se concentre avant tout sur le côté émotionnel de toute histoire, et certaines sont de ce point de vue réellement poignantes.

Et pour le pire… est un très bon recueil, intéressant à plus d’un titre et qui plaira à bon nombre de lecteurs.

 

Souvenir de la rencontre organisée au forum de la FNAC d’Orléans.

Rencontre organisée au Forum de la FNAC d’Orléans

le vendredi 17  avril

Rencontre animée, avec force talent, par Michel Bleze-Pascau,

animateur de l’émission « Comme à la maison » sur Orléans TV.

Je tiens d’ailleurs à le remercier : 

                    pour la lecture attentive qu’il a conduite du recueil Et pour le pire,

                                                      pour la pertinence de ses questions,

                                                                                           pour sa gentillesse tout simplement. 

                                                                  

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Annonce de la rencontre au Forum FNAC d’Orléans, le vendredi 17 avril à 17h30.

Pour une meilleure lisibilité, cliquez sur l’image.

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à la FNAC d’Orléans

Le vendredi 17 avril 2009, à 17h30,

16, rue de la République.

Article « La République du Centre », le 8 avril 2009.

Article paru dans la République du Centre du mercredi 8 avril 2009 :

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Pour une meilleure lisibilité, cliquez sur l’article.

Souvenir de la rencontre dédicace organisée par la bibliothèque municipale de La Chapelle Saint Mesmin.

Quelques photographies en souvenir de la séance de dédicace

organisée par la bibliothèque municipale Louis Rouilly

de La Chapelle Saint Mesmin

 le samedi 4 avril 2009 de 10h à 12h30.

Merci aux organisateurs, notamment Nicole Hafid et Serge Burnel,

et merci aussi aux visiteurs !

Sourire

Prochain rendez-vous :

Rencontre débat au forum de la FNAC d’Orléans

le vendredi 17 avril à 17h30.

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Nouveau billet critique sur « Et pour le pire ».

Par BernartZé, auteur du blog : « Vous qui passiez par hasard… »

Lien : http://bernartze.unblog.fr/

« De grands éclats             

De superbes et grands…écarts, aussi, d’une histoire à l’autre.  Sans crainte, vous pourrez vous fier à la quatrième de couverture annonçant les diverses déclinaisons de quatorze récits. Mais…méfiez-vous quand même, vous pourriez être diablement surpris ! 

Si, dans tous les cas, il est proprement question de la nature humaine, celle-ci, poussée dans ses retranchements, peut soudain changer totalement de figure. Tout en réussissant à faire preuve d’une parfaite cohérence, l’auteur de ces nouvelles se permet le luxe de souligner, avec une réelle maîtrise stylistique, les extrémités dans lesquelles les aléas de la vie peuvent précipiter un êtreQu’il s’agisse d’un douloureux deuil subtilement et sobrement suggéré, d’une monstrueuse vengeance au terme de toute une vie (à deux), de l’irrésistible et jubilatoire délire d’une éternelle amante,…, de révélations en accidents de parcours vous pourrez vous laisser transporter.       Ce recueil est tout autant pétri d’émotions que d’humour(s) noir, gris –du plus clair au plus foncé-, et même rouge…bien saignant !  »…B. 

Agenda : prochaines dates à retenir.

- Le samedi 4 avril 2009 de 10h à 12h30

Rencontre – Dédicace et exposition photos du spectacle « L’Invitée »

à la bibliothèque municipale Louis Rouilly de La Chapelle Saint Mesmin

&

- Le vendredi 17 avril à 17h30,

FNAC d’Orléans, rencontre-forum

à l’occasion de la parution de Et pour le pire

16, rue de la République.

 

 

 

Billet critique sur « Et pour le pire » paru sur le site « Livres et cinéma et quelques autres aventures culturelles – le blog de Yohan ».

Ci-dessous, l’avis de Yohan sur Et pour le pire,

Lien vers son blog :

 http://livres-et-cin.over-blog.com/article-28971271.html

Mercredi 18 mars 2009

Et pour le pire, Franck Bellucci

Après la belle découverte de Ce silence-là, le premier roman de Franck Bellucci, l’auteur publie un recueil de nouvelles au titre assez intriguant et inquiétant : « Et pour le pire ! » Et le pire, on le côtoie de près dans ces quatorze « fragments de vie », comme l’indique le sous-titre.

Le pire se cache ici dans des incidents, des événements qui transforment la vie des personnages : l’accident mortel, le deuil, la folie dans laquelle on tombe, la maladie. Des moments terribles, qui tombent sur les individus sans qu’ils s’y attendent, et qui ne savent pas comment réagir, coincés entre colère et chagrin. Comme dans la nouvelle inaugurale, « Choc frontal », et la dernière du recueil, « La dernière cigarette », où un accident de la route bouscule la vie des proches des accidentés. On plonge dans les secrets de famille, comme dans « Ton frère, ce clandestin », ou dans les affres de la séparation conjugale dans « Un père qui pleure ». Dans d’autres cas, c’est la folie qui domine, la folie liée à une douleur qu’on accepte pas dans « Et pourtant je l’aimais »… Une pointe de fantastique surgit même dans « Les Anges noirs », nouvelle où chacun se retrouve confronté à ses propres turpitudes.

La difficulté des recueils de nouvelles, c’est que le lecteur a souvent ses préférés. Dans ce cas-ci, ma préférence va aux nouvelles qui dévoilent, lentement, le secret qui mine le personnage principal (« Ton frère, ce clandestin »), et à celle où l’on sent l’amour (« A lundi »), la détresse des personnages. Dans « Un père qui pleure », on ressent à travers les propos de l’enfant la détresse qui étreint le père au moment du départ. Dans plusieurs nouvelles (« L’abandonné »), on ressent la culpabilité qui touche les enfants ou conjoints contraints d’abandonner leur proche qui dans un hôpital, qui dans une maison de retraite. La nouvelle que je retiens le plus est « Un dimanche matin, la tête entre les mains », qui aborde ce thème de la culpabilité sur un autre mode : celle vis-à-vis des actes de ses parents, actes que le personnage, adolescent, n’arrive pas à concevoir.

Je suis plus réservé concernant les nouvelles un peu plus crues, comme « Monstre »,  »Une grande amoureuse » ou « Diptères et autres merveilles ». J’ai l’impression que Franck Bellucci a envie de choquer son lecteur, de l’interpeler, mais de manière assez gratuite. Dans « Monstre », par exemple, la nouvelle aurait peut-être gagné à se terminer de manière moins provocante.

Je dois néanmoins reconnaître la maîtrise d’écriture de l’auteur, qui change assez aisément de style et de registre de langue, adaptant la construction syntaxique et les dialogues à chaque situation. Recueil qui confirme donc les qualités aperçues dans « Ce silence-là », et la capacité de l’auteur à écrire sur le secret, le trouble qui assaillent les personnages.

Billet critique sur « Et pour le pire » paru sur le site « Cuneipage.com »

Ci-dessous, l’avis de Sylvie Sagnes sur le recueil Et pour le pire,

mis en ligne sur son site littéraire « Cuneipage ».

lien : http://www.cuneipage.com/

18.03.2009

Et pour le pire, Fragments de vie – Franck Bellucci

bellucci.jpgQuatorze nouvelles qui exposent un fragment de vie, un moment particulier où ça dérape, où une histoire banale devient noire, horrible, dramatique.

On commence fort avec « Choc frontal« , qui est l’histoire de ce coup de fil en pleine nuit que chacun redoute. Élégante, la narration nous plonge immédiatement en empathie et on vit ce moment de basculement avec intensité.  « Monstre » vient alors nous doucher, quelque chose ne fonctionne pas dans cette lettre posthume, on n’y croit pas. « Les Anges noirs » emprunte au fantastique, avec une certaine pesanteur pas très convaincante non plus. Il y a comme ça quelques nouvelles qu’on lit sans ressentir vraiment quelque chose, on regarde les ficelles, ce n’est jamais bon signe.

Et puis arrive « A lundi…« , et on y est. Nous aussi, sur la tombe, on nettoie, on bavarde. « L’Abandonné » est terrible, d’une justesse parfaite, « Je me souviens, je n’en peux plus de me souvenir« … Comment dire qu’on baisse les bras ? Un texte étincelant, sobre. Un morceau de coeur qui s’arrache. « Diptères et autres merveilles… » démontre que si l’indifférence n’est pas un crime, elle peut avoir des conséquences… ignobles. Enfin « Témoignages » fait froid dans le dos, dans l’univers des TOC (que j’ai bien connu).

Un recueil assez inégal, donc, qui contient une pépite en son milieu, comme un écrin. Des morceaux de vie, celle du quotidien et des problèmes qui minent, celle des relations familiales qui demeurent tellement importantes.

Une plume à suivre…

Ed. Demeter, 2009, 141 p.

Article « La République du Centre », le 13 mars 2009.

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Pour une meilleure lisibilité, cliquez sur l’article.

Agenda : prochaines dates à retenir.

Signature organisée par la librairie Privat-Loddé,

nouvellement rebaptisée Chapitre.com,

 le samedi 14 mars 2009, 2, place de la République, 45000 Orléans,

à partir de 15h.

&

 Représentation de la pièce « L’Invitée »,

par le Théâtre de la Rive,

à l’espace Florian de Châteauneuf-sur-Loire,

le dimanche 15 mars à 15H,

à l’initiative de l’ACACIA,

spectacle ouvert à tout public.

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Souvenirs de la rencontre organisée par la librairie « Les Temps modernes » d’Orléans.

Souvenirs de la rencontre-entretien du mercredi 11 mars 2009,

à la librairie des « Temps modernes » d’Orléans,

animée par madame Catherine Martin.

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Article « La République du Centre », le 11 mars 2009.

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Pour une meilleure lisibilité, cliquez sur l’article.       

Extrait critique de « Et pour le pire » publiée sur le site littéraire « Biblioblog ».

Et pour le pire – Franck Bellucci

« Maintenant, vous êtes liés par les liens sacrés du mariage, pour le meilleur et pour le pire« . Songe-t-on bien au moment des échanges de vœux à ce qu’inclut cette phrase? Franck Bellucci, dans ce recueil de nouvelles, propose 14 variations du pire, 14 récits sur les issues parfois insupportables du mariage.

Dès la première nouvelle, Choc frontal, Franck Bellucci donne le ton à l’ensemble du recueil. Le pire ici est la disparition soudaine de l’autre, l’accident fatal, l’appel téléphonique en pleine nuit, le refus de la réalité. Ce premier récit, raconté à la troisième personne, laisse transparaître la tempête des émotions qui agitent celui qui reste et doit continuer malgré tout.
Mais le pire a bien des facettes, et Franck Bellucci, en s’immisçant dans la vie des uns et des autres, va nous en dévoiler quelques autres : il y a la maladie, l’infidélité, le veuvage, l’héritage, le divorce et la folie, tous les visages de la folie….

Franck Bellucci dissèque ici tous les excès de l’amour et plonge, avec un plaisir parfois sadique, dans ce que l’humain peut avoir parfois de plus noir et inavouable. En ce sens, certaines des histoires proposées ici sont assez effrayantes. Je pense notamment à Diptères et autres merveilles, Et pourtant, je l’aimais ou encore Une grande amoureuse. Parfois aussi, la plume de l’auteur se fait plus douce et attentive et montre comment certains amants tentent de garder le meilleur quand le pire a sonné à la porte (L’abandonné, Un père qui pleure, Témoignage) (…)

Pour lire l’intégralité du billet de lecture, voir lien « Biblioblog ».

Article « La République du Centre », le 6 mars 2009.

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« Et pour le pire », extrait de la nouvelle « Les Anges noirs » (début).

« Les Anges noirs »

« Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange ;

Jamais tu ne viens m’avertir.

 Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !)

Et tu me regardes souffrir. »

Alfred de Musset, La Nuit de décembre.

    Comme d’habitude, ça a commencé par une dispute. Une de celles dont on se montrait volontiers adeptes depuis un certain temps. Une vraie de vraie, avec reproches, menaces, insultes et tout le reste. À vrai dire, on s’engueulait de plus en plus souvent, et de plus en plus violemment. La lassitude sans doute, et les rancoeurs accumulées au fil des ans. Vingt-huit ans déjà… J’avais atteint le point culminant de l’agacement : je ne supportais plus qu’elle m’ignore, qu’elle ne me voie pas, qu’elle préfère à ma compagnie celle de ses copines, de fieffées crétines, des garces qui profitaient de son hospitalité et de la confortable assise de mon canapé. Des hystériques qui causaient tout le temps, toutes en même temps, de tout et de rien, enfin plus souvent de rien que de tout. Anna pouvait passer des journées entières avec elles, sans m’adresser le moindre regard ni la moindre parole. Vous imaginez un peu ça, vous ? Vous feriez quoi vous si votre femme vous délaissait de la sorte, hein, je vous le demande ? Et c’était en vain que je m’efforçais de raviver sa flamme. Aucun cadeau, aucune surprise ne faisait plus son effet. Même pas le brin de muguet du 1er Mai ! Ou alors, si effet il y avait, il n’était que très temporaire. Non, vraiment, pour elle, je n’existais plus. Transparent, voilà ce que j’étais devenu.

   À bien y réfléchir, je crois que la situation s’est sensiblement dégradée à partir du jour où notre fils Éric a quitté la maison. Pourtant c’est dans l’ordre des choses, vous ne trouvez pas ? Elle aurait quand même bien pu se douter que cela allait arriver. Il avait fini ses études, obtenu son diplôme de gestion et l’entreprise qui l’avait accueilli pour son stage de préprofessionnalisation lui avait tout de suite proposé un contrat à durée indéterminée. Une aubaine par les temps qui courent et il n’allait pas s’en priver sous prétexte que sa maman voulait continuer à le couver. C’est vrai que c’est allé très vite, mais après tout, tant mieux pour lui ! Il a touché son premier salaire, il a goûté à l’indépendance et, surtout, il est tombé amoureux d’une jeune collègue avec laquelle il a décidé de s’installer. Rien de plus normal, en somme. Malgré les réticences d’Anna qui ne voyait décidemment pas d’un bon oeil cette idylle, je les ai aidés à rénover le petit appartement qu’ils avaient loué en centre-ville. Un joli deux pièces très lumineux avec balconnet. Idéal pour un jeune couple qui se lance dans la vie. Je les trouvais mignons tous les deux dans leur petit nid. Ils m’attendrissaient lorsqu’ils parlaient au futur, faisant des projets, rêvant à ce qu’ils allaient construire ensemble. Leur insouciance me faisait envie. J’étais heureux pour eux bien qu’un peu jaloux, je l’admets. Mais je me raisonnais, je me disais que tout cela était normal, que moi aussi j’avais connu mon heure de gloire amoureuse. Parce que je l’ai connue ! Si, si, je vous l’assure ! D’ailleurs Anna ne savait pas tout sur tout et heureusement ! À eux le tour donc… Je me souviens qu’un dimanche après-midi, alors que je venais de terminer de repeindre leur cuisine, je m’étais surpris à tout faire pour retarder le moment fatal où il me faudrait rentrer à la maison. L’idée de retrouver ma chère épouse me rebutait. Je cherchais donc désespérément une dernière retouche à faire, un petit bricolage à entreprendre. Je crois que j’aurais été capable de peindre une troisième couche au plafond pour échapper à mon destin. En fait, c’est le regard un peu insistant de mon fils qui m’a fait comprendre qu’il était grand temps que je parte, que je les laisse enfin tranquilles tous les deux. Mais le problème était bel et bien là : je n’avais absolument plus aucune envie de la retrouver, de sentir sur moi son regard réprobateur, d’entendre ses réponses monosyllabiques, de me cogner à son indifférence glaciale. Je savais que dès que je passerais le pas de la porte, elle mettrait de nouveau ses habits de tristesse, sa tenue de femme résignée, son armure de conjointe belliqueuse. Je ne pouvais pas admettre qu’elle ne réserve ses sourires et ses rires qu’à ses acolytes féminines que je rêvais de faire disparaître une fois pour toutes. Je les haïssais, toutes, et d’ailleurs elles me le rendaient bien.

   Ce soir-là donc, on s’est disputé. On était invité à dîner chez Éric et sa fiancée Éliane. Ils voulaient pendre la crémaillère. Gentille attention, n’est-ce pas ? Anna le savait depuis plus d’une semaine mais elle n’a pas pu s’empêcher de faire des histoires, de m’agacer. Quand je lui ai dit qu’il était l’heure d’y aller, elle a commencé à beugler sous prétexte qu’elle n’était pas prête, qu’elle n’avait plus rien à se mettre et que de toutes façons elle n’aimait pas cette fille, qu’elle ne la sentait pas. C’est étrange, mon épouse disait souvent qu’elle sentait ou ne sentait pas les gens. Une vraie olfactive celle-là. Ou alors, c’était un reste d’instinct, comme une réminiscence animale, si vous voyez ce que je veux dire. Je ne saurais expliquer scientifiquement ce phénomène. Bref, elle a crié, j’ai crié plus fort qu’elle, et on est parti avec une bonne demi-heure de retard, chacun croyant avoir remporté la bataille, elle parce qu’elle se réjouissait secrètement à l’idée d’avoir probablement gâché la cuisson du rôti de boeuf de sa future belle-fille et moi parce que je pensais avoir triomphé de ses réticences.

    Contre toute attente, le repas s’est plutôt bien déroulé : la viande était cuite à point, les pommes de terre sautées qui l’accompagnaient se révélaient fondantes et exquises et la glace aux trois parfums que j’avais moi-même achetée chez le pâtissier de notre quartier faisait l’unanimité. Le tout était servi avec un excellent bordeaux millésimé sélectionné par mon fils. Un amateur averti celui-là, passionné de grands crus. Comme son père ! En fin de soirée, j’ai même surpris Anna en train de sourire à la jolie Éliane, oh ! un petit sourire, plutôt une esquisse de sourire, mais quand même, je venais d’assister en direct à un grand pas pour l’humanité. Il faut dire que la jeune fille déployait des trésors d’efforts et de patience pour tenter d’apprivoiser la mère de l’élu de son coeur. Une belle preuve d’amour, n’est-ce pas ? Cela ne m’était pas arrivé de le penser depuis bien longtemps mais j’ai eu l’impression ce soir-là, à ce moment-là, qu’il serait peut-être possible de retrouver un équilibre, d’envisager des jours paisibles. Et pourquoi pas quelques moments de bonheur auprès de celle à laquelle je m’étais lié pour le meilleur et pour le pire. Oui, j’ai imaginé que le meilleur pouvait revenir, ressusciter de ses cendres comme le vieux Phénix. La réalité allait se charger de me rattraper. Et vite.

   Dès que nous avons emprunté l’allée qui mène à la maison, j’ai remarqué que la lumière du salon était allumée. J’ai d’abord songé qu’Anna avait une fois encore oublié de l’éteindre mais celle-ci jurait tous les diables qu’elle se revoyait tout à fait en train d’appuyer sur l’interrupteur, qu’elle en était absolument certaine et qu’elle n’était pas folle quand même ! Elle s’agitait comme un pantin ridicule, gesticulant dans tous les sens, vociférant et moi je ne voulais pas en démordre. Mais le trouble s’est accentué lorsque j’ai distinctement aperçu une silhouette humaine passer derrière les rideaux, plus exactement les voilages, puis traverser la pièce. Il n’y avait alors plus aucun doute possible : nous étions victimes d’un cambriolage et notre retour allait empêcher les voleurs d’exécuter leur sale besogne ! C’est étrange, mais je ne me souviens pas avoir eu peur. Non, pas une seconde je n’ai eu une quelconque appréhension ; pas un instant je n’ai envisagé qu’il pouvait y avoir un danger à surprendre ainsi des malfaiteurs en flagrant délit. Au contraire, je me suis dirigé droit devant, rapidement et fermement, bien décidé à faire déguerpir ces enfants de salauds ! Anna ne disait plus rien. L’apparition de l’ombre lui avait brutalement cloué le bec. Elle me suivait, collait ses pas aux miens tout en prenant soin de faire de mon corps son bouclier. Je crois avoir senti comme jamais je ne l’avais senti auparavant son coeur battre la chamade dans mon dos. Il y avait des mois et des mois, peut-être des années, qu’elle ne s’était pas autant approchée de moi. Je dis approchée, je devrais plutôt dire qu’elle était collée à moi. Une adhérence soudaine mais parfaitement explicable. Rien à voir avec un éventuel sursaut de libido que j’attendais et espérais toujours…

   Ils étaient tous les deux installés au salon, elle assise dans le canapé, et lui affalé dans le fauteuil, mon fauteuil, un livre à la main, en fait mon livre à la main. L’image était stupéfiante : tandis qu’elle feuilletait un magazine, lui lisait le roman que j’avais laissé, comme à mon habitude, sur la table basse. Ce n’est qu’après le drame, en vous attendant, que j’ai remarqué qu’il en était exactement là où j’avais interrompu ma lecture, à la même page, au début du troisième chapitre de la seconde partie. Détail troublant vous ne trouvez pas ? Nous avons donc découvert, chez nous, dans notre maison, dans notre salon, à presque minuit, un homme et une femme que notre arrivée ne semblait du reste pas du tout importuner. Inutile de vous préciser que passés les premiers instants de saisissement, je me suis mis à hurler, à les traiter de tous les noms, et j’en connais en la matière, à les menacer d’appeler la police ou de leur casser la gueule. Mais tandis que je m’excitais, allant et venant dans tous les sens, brandissant un poing agressif, eux restaient imperturbables. Ils ne bougeaient pas, ils me regardaient et ils me souriaient. Ils paraissaient même éprouver un certain plaisir à me contempler. C’était une situation invraisemblable, je dirais même kafkaïenne. J’adore Kafka. Quel écrivain ! Quelle imagination ! Vous connaissez au moins ? Moi, j’ai lu tous ses livres. Je vous les recommande, surtout La Métamorphose. Une sombre histoire de type qui se transforme en cloporte. Un truc de fou, à la fois drôle et terrifiant. Un univers très particulier, vraiment. Bon, revenons à mon affaire : j’étais donc sur le point de saisir sur le buffet un objet qui aurait pu faire office de projectile, si besoin d’arme de défense, lorsque la femme a prononcé ses premiers mots. Et là, je n’en ai pas davantage cru mes oreilles que je n’en avais d’abord cru mes yeux ! Elle s’est adressée à moi avec douceur, tendresse, m’appelant « mon chéri, mon doudou » et m’invitant à la rejoindre sur le canapé. Elle m’a dit très exactement qu’il ne fallait pas que je me mette dans cet état, que c’était mauvais pour ma tension artérielle – et d’abord comment savait-elle que je fais de l’hypertension, vous y comprenez quelque chose vous ? – et qu’elle allait me faire une caresse sur la nuque, comme je les aimais… C’est à cet instantlà qu’Anna a éclaté en sanglots. Bien sûr, mon réflexe immédiat a été de lui assurer que je ne connaissais pas cette énergumène, de jurer sur ma tête et sur celle de notre fils unique que je ne l’avais jamais rencontrée de ma vie, que je ne comprenais rien à cette histoire. Mais Anna m’a indiqué que le problème n’était pas là. Non, ce qui la faisait pleurer, c’était que cette femme portait l’une de ses robes à elle. Une robe d’Anna. Vous suivez ? Et c’était vrai. Vous pourrez d’ailleurs vérifier en comparant le vêtement que vous avez recueilli et d’anciennes photographies que vous trouverez sans difficulté dans nos albums de famille. Dès qu’Anna me l’a signalé, j’ai en effet immédiatement reconnu la robe, son tissu, ses motifs, sa coupe assez originale. Je crois même que c’est moi qui la lui avais offerte pour notre second anniversaire de mariage. Je m’apprêtais de nouveau à intervenir, je veux dire à cogner, quand l’homme s’est mis à parler à son tour. Il s’est dirigé vers Anna et lui a dit qu’il ne fallait pas pleurer pour ça, que ce n’était pas grave si elle ne l’aimait pas cette robe, qu’il pourrait lui en acheter une autre, plus à son goût et que d’ailleurs il lui achèterait toutes les robes qu’elle voudrait. Et dans sa lancée, il a poursuivi son discours en regardant la femme du canapé et en ajoutant qu’elle lui allait quand même très bien cette robe. Je pense pouvoir affirmer que c’est à partir de ce moment précis que la machine s’est vraiment emballée. C’était hallucinant ! Il n’y a pas d’autre mot, hallucinant ! Nous étions quatre, dans notre salon : Anna qui continuait à pleurnicher ; moi, qui cherchais encore à comprendre en jaugeant les intrus ; cette femme qui avait enfilé une vieille robe de mon épouse et cet homme dont je devais vite remarquer qu’il portait également l’un de mes anciens costumes. Oui, je pense pouvoir affirmer que c’est après qu’il a prononcé ces phrases que la machine s’est vraiment emballée.

   Je vous l’ai dit et je le répète : je n’ai cessé de leur demander des explications. Je voulais savoir qui ils étaient, d’où ils venaient, de quel droit ils s’étaient introduits chez nous pour nous voler de vieux habits et surtout comment ils avaient fait pour entrer dans notre propriété privée, en pleine nuit, sans commettre la moindre effraction. Et tandis que moi je m’égosillais à les questionner, Anna continuait à pleurer toutes les larmes de son corps, à renifler, à parler de sa robe, plantée comme une godiche au milieu de la pièce ! En fait, je peux maintenant avouer qu’elle a ajouté à mon cauchemar et qu’elle a eu dès le départ de cette incroyable mésaventure une lourde part de responsabilité. Elle est autant fautive que moi. Si seulement elle avait pu me venir en aide, me soutenir dans l’épreuve ! Tu parles, elle n’a été capable que de pleurer, de renifler, de geindre, de crier, comme à son habitude… Bon, en réalité, ils étaient entrés par la porte, tout simplement, avec la clé. Je vous le jure monsieur le commissaire, ils me l’ont montrée. Je l’ai vue, de mes yeux vue ! C’était exactement la même que la nôtre : même forme, même marque, même couleur, et même porte-clés argenté à l’effigie de la statue de la liberté. Un souvenir que nous a rapporté Éric d’un séjour aux États-Unis. C’est l’homme qui l’a sortie de sa poche, je veux dire de la mienne, enfin de celle de ma veste qu’il portait… Ça va, vous suivez toujours ? Ils avaient un double de notre clé et ils n’avaient donc eu aucune difficulté à entrer chez nous ! Mais ce n’est pas le plus incroyable, vous allez voir, le plus inconcevable, le plus ahurissant reste à venir. Quand j’ai réalisé que ces gens n’étaient pas des cambrioleurs et qu’ils ne présentaient pas de réel danger pour nos vies – j’aurais dû rester plus vigilant, j’en conviens – j’ai décidé de me calmer et de poursuivre mon interrogatoire car assurément j’étais curieux de savoir ce qu’ils nous voulaient. Mais ils m’ont affirmé qu’ils ne nous voulaient rien, non vraiment, absolument rien. Ils disaient même que tout allait très bien et qu’ils étaient d’ailleurs sur le point d’aller se coucher ! Chez nous, vous entendez, dans notre maison, dans notre chambre ! (…)

 

(© 2008/droits réservés)

                                                                                                                                                 Fragments de vies

Vient de paraître : « Et pour le pire (fragments de vies) », nouvelles.

Et pour le pire

(Fragments de vies)

Editions Demeter

Vient de paraître :

                                                   

Quatorze récits, quatorze fragments de vies qui tous racontent avec gravité ou légèreté, avec noirceur ou dérision, le moment où tout bascule au sein d’une existence.

C’est un deuil qui frappe ou une rencontre qui rend fou ; c’est une découverte qui bouleverse ou une vengeance qui condamne ; c’est un aveu qui se fait ou un secret qui se révèle.

Et, dans tous les cas, c’est l’instant à la fois banal et extraordinaire où le meilleur devient, irrémédiablement, le pire…

 

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Une rencontre est organisée

 le mercredi 11 mars à 18h30

 à la librairie des Temps Modernes,

57 rue ND de Recouvrance, 45000 Orléans

(02 38 53 94 35) .

***

Une séance de signature se déroulera  

le samedi 14 mars à partir de 15h

à la librairie Privat-Loddé 

(récemment rebaptisée Chapitre.com),

2 place de la République, 45000 Orléans

(02 38 65 43 43) .

******************

Extrait de la nouvelle « Monstre » :

« La vie, perdue dans la faute,se retrouve dans l’expiation. »

André Suarès, Trois Hommes. 

    « Non, je n’ai pas de scrupules. Pas le moindre scrupule. Bien au contraire. Je savoure l’idée délicieuse de faire le mal, de te rendre malheureux, de t’inoculer le poison de la souffrance. Pas de projet plus excitant que celui de te détruire à petits feux. Longtemps, je me suis préparée à cette entreprise et aujourd’hui, enfin, je la réalise.

   Je ne te demande pas de m’excuser ; je suis inexcusable. Je ne te prie pas davantage de m’accorder ton pardon ; je suis impardonnable. Et d’ailleurs, on ne pardonne pas à ceux et celles qui répandent le remords, la peur et la haine. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est bien cela que tu vas connaître : le remords, dont tu resteras l’esclave ; la peur, une extraordinaire peur qui, petit à petit, t’enlaidira, fera de toi une ombre, un fantôme errant, un spectre abject ; et la haine, la grande haine, de celles qui demeurent tapies au fond du coeur, dans l’âme aussi, de celles qui circulent en permanence à travers toutes les veines et les artères.

   Par avance, je me délecte à imaginer ton corps pétrifié, ta triste mine, ta face livide, tes yeux hagards et épouvantés. Je me représente ta bouche grimaçante, ta silhouette voûtée, tes mains contorsionnées. Je me réjouis, ô suprême plaisir, à concevoir l’affolement qui sera tien lorsque tu me découvriras, lorsque ton regard ne pourra plus se détourner du spectacle que je t’ai minutieusement préparé.

   Désormais, la bête immonde ne te lâchera plus. Elle te poursuivra, t’accompagnera, partout, tout le temps, prédateur invisible, impalpable, mais auquel nul ne peut arracher sa proie. Ses mâchoires t’attraperont et sur toi elles se refermeront de toute leur puissance. Pour te dévorer. Mais, il te faudra du temps pour identifier l’ennemi, pour savoir quelle est sa race, pour comprendre d’où il vient. Il te faudra du temps pour admettre qu’il est inutile, totalement inutile mon cher, de chercher à fuir un tel adversaire, parce que c’est en toi, exclusivement en toi, qu’il puisera sa force, qu’il se ressourcera sans cesse. Il se nourrira de toi. Il vivra en toi et contre lui, tu seras impuissant. Tu ne pourras que mesurer la progression de sa voracité, l’accroissement de sa tyrannie. Et tu ne pourras aussi que constater que ton visage se creuse, que tes cernes s’accentuent, que ta physionomie que je trouvais autrefois belle et élégante a perdu toute lumière et humanité.

   Tu ne connaîtras plus que le clair-obscur ; alors que tes nuits seront blanches, tes journées, interminables, épuisantes, resteront sous l’entière, sous l’exclusive domination de l’ombre.

    Oui, je suis un monstre. Je l’admets. J’en ai une pleine, une exquise conscience. Je suis un monstre et je veux l’être. Je revendique ce dernier droit, le droit d’être ton monstre, rien que le tien, pour l’éternité… » 

 

A paraître, en février : « Et pour le pire », nouvelles.

                                           A paraître, en février :

 
 

  A paraître :

Et pour le pire

-Fragments de vies-

(Nouvelles)

 

Quatorze récits, quatorze fragments de vies qui tous racontent avec gravité ou légèreté, avec noirceur ou dérision, le moment où tout bascule au sein d’une existence.

C’est un deuil qui frappe ou une rencontre qui rend fou ; c’est une découverte qui bouleverse ou une vengeance qui condamne ; c’est un aveu qui se fait ou un secret qui se révèle.

Et, dans tous les cas, c’est l’instant à la fois banal et extraordinaire où le meilleur devient, irrémédiablement, le pire.

 

Les Éditions DEMETER

collection : Lettrine / prix ttc : 15 € / date de parution : février 2009 / genre : Nouvelles

format : 138 X 204 / nombre de pages : 144 pages

 

EXTRAITS CHOISIS :

 

Extrait 1 : « L’Abandonné »

« Je t’ai abandonné, là-bas, dans cette petite chambre aux murs blancs. Au bout d’un couloir, derrière cette porte qu’il m’a fallu refermer. Surtout prenez bien garde à refermer la porte derrière vous, on ne sait jamais… Je suis partie, je t’ai laissé ainsi, tout seul, assis sur ce fauteuil qu’ils avaient placé bien en face de la fenêtre – qui sait ? peut-être remarquerais-tu les faîtes dansants des arbres, la lente course des nuages ou encore les voitures parfaitement alignées, en bas, sur le parking, peut-être… – je t’ai laissé ainsi, tu avais les mains posées sur tes genoux et tu restais immobile. Statue de peine et de silence. Je t’ai regardé longtemps, comme pour m’imprégner de ton image, afin qu’elle m’accompagne, qu’elle se grave en moi, et je t’ai souri, je crois même t’avoir dit quelques mots, au revoir mon amour, à bientôt, à très bientôt, ne t’en fais pas, je reviendrai très vite. J’ai dû dire ces mots en espérant que tu les entendes, en espérant que tu réagisses, que tu fasses un petit geste, que tu tournes vers moi ton visage, ton beau visage que la maladie n’a presque pas modifié. Mais il n’en a rien été. Tu ne m’as pas vue pas plus que tu n’as vu le paysage derrière la vitre ; tu ne m’as pas entendue non plus, et tu n’as pas bougé. Tu n’as pu que rester comme ça, dans la position dans laquelle on t’avait installé, vieillard avant l’heure, statue en sursis de vie. »

Extrait 2 : « Monstre »

« Non, je n’ai pas de scrupules. Pas le moindre scrupule. Bien au contraire. Je savoure l’idée délicieuse de faire le mal, de te rendre malheureux, de t’inoculer le poison de la souffrance. Pas de projet plus excitant que celui de te détruire à petits feux. Longtemps, je me suis préparée à cette entreprise et aujourd’hui, enfin, je la réalise.

       Je ne te demande pas de m’excuser ; je suis inexcusable. Je ne te prie pas davantage de m’accorder ton pardon ; je suis impardonnable. Et d’ailleurs, on ne pardonne pas à ceux et celles qui répandent le remords, la peur et la haine. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est bien cela que tu vas connaître : le remords, dont tu resteras l’esclave ; la peur, une extraordinaire peur qui, petit à petit, t’enlaidira, fera de toi une ombre, un fantôme errant, un spectre abject ; et la haine, la grande haine, de celles qui demeurent tapies au fond du cœur, dans l’âme aussi, de celles qui circulent en permanence à travers toutes les veines et les artères. » 

Extrait 3 : « Nos Anges noirs » 

« C’est Anna qui a compris la première ; oui, c’est elle qui m’a ouvert les yeux, qui a décodé la situation, qui a trouvé la clé de l’énigme. Il devait être environ trois heures quinze, trois heures trente du matin quand elle a eu la révélation. Cet homme et cette femme n’étaient autres que nous ; exactement, ils étaient nous, mais nous il y a de nombreuses années de cela, lorsque nous étions encore jeunes, du temps de notre splendeur, de notre amour passionné, du temps où nous passions nos soirées côte à côte ou face à face dans le salon, elle feuilletant un magazine féminin et moi lisant un bon roman, du temps où elle ne restait pas des heures entières derrière son écran de télévision à ingurgiter au kilomètre des stupidités pré formatées. Du temps où nous nous réjouissions des moindres petites choses : un rosier en fleurs, le saut périlleux d’un chaton, un éclat de rire d’Eric. Du temps où nous avions encore l’espoir d’avoir un second enfant. Du temps où c’était bien quoi. Oh, je sais commissaire, vous me prenez pour un fou qui cherche à faire passer son délit pour l’acte d’un illuminé. Je le vois bien à vos yeux que vous ne croyez pas tout ce que je suis en train de vous raconter. Et pourtant… Il n’y avait aucun doute : nous nous retrouvions mon épouse et moi en notre propre présence. Comme si des anges étaient apparus pour nous rappeler ce que nous avions été, la saveur d’antan, comme s’ils avaient essayé de nous montrer de nouveau la voie du bonheur, de la sérénité. »

 

 

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